Pour notre 11e article Special People, nous vous présentons François Malingrëy, (@francoismalingrey) un artiste peintre au talent bouleversant. La force de sa peinture tient autant aux mises en scène énigmatiques de ses compositions, qu’à la finesse de sa technique. Chacun de ses tableaux est un coup de poing, et on pourrait les contempler des heures pour en saisir toutes leurs nuances. Fans de son oeuvre depuis longtemps, on est convaincus qu’il finira un jour à Pompidou. Nous on est comme ça, nos Special People, on y croit à donf.
Les Special People Sillages Paris nous inspirent par leur style, leur parcours, leur façon de vivre leur vie, ou leur rapport au parfum. Sillages Paris est une maison de Haute Parfumerie qui veut célébrer l’originalité et la singularité : à la fois dans le parfum, et dans les personnes qui le portent. En effet, nous pensons que chacun d’entre nous est spécial, donc chaque parfum devrait être spécial. De fait, on fait parfois des rencontres que nous avons envie de partager avec vous. Ceux qu’on appelle nos special people peuvent être des gens que l’on croise, ou nos propres clients qu’on adore rencontrer. Pour chacun de ces gens spéciaux, nous avons créé le sillage parfait.
Nous avons échangé directement dans l’atelier de François à Saint-Denis pour parler peinture, vie d’artiste, inspiration, et parfum.
Commencer quelque part pour finir ailleurs : la formation de François Malingrëy
François Malingrëy : Je n’ai aucune formation technique. À l’origine je voulais étudier l’illustration, et j’avais donc commencé un programme qui s’appelait Images & Narration aux Beaux-Arts d’Epinal pour étudier le dessin. Finalement, j’ai passé mon diplôme en faisant une pièce de théâtre !
Ensuite j’ai poursuivi aux Arts-Décoratifs de Strasbourg. Cette fois-ci encore je suis arrivé en pensant reprendre l’illustration… et je suis sorti en faisant de la peinture. On était plusieurs à ne pas faire ce qu’on aurait pu attendre d’une section illustration. Moi je faisais des formats géants au fond de la classe, d’autres des installations contemporaines, tout ça au milieu des potes qui travaillaient sur de la bande-dessinée ou du dessin de presse… Nous avons pu beaucoup expérimenter, et nous avons eu la chance d’être très soutenus.
Les squats d’artistes
Il y a des endroits où j’ai été extrêmement bien installé, parce que je savais que je pourrais y rester quelques temps. Dans ces cas-là on construit, et on fait en sorte de s’installer confortablement. Mais ces derniers temps, j’ai aussi été dans des situations un peu plus compliquées. Il arrive souvent que dans un squat on ne sache pas combien de temps on va pouvoir rester. Et qu’on n’ait pas d’espace “à soi”.

Mon premier atelier à Saint-Ouen fut un coup de chance en fait. J’avais demandé à des amis des conseils de lieux pour pouvoir venir travailler une semaine par mois à Paris. Et puis l’un d’eux m’a parlé d’un de ses amis qui ouvrait un squat. Il m’a conseillé d’y aller sans traîner, ce que j’ai fait, et je ne le regrette pas… Effectivement c’était dingue !
La chance du débutant de François Malingrëy
Au départ, ça me semblait absurde d’arriver dans cet espace de 1 000m2 avec une dizaine de mecs qui croyaient dur comme fer pouvoir rendre opérationnels les ateliers un mois plus tard. À ce moment-là, le lieu n’avait plus de fenêtres, mais 14m3 de gravats dans chaque pièce, et personne n’avait d’argent à investir ! Je me suis dit que le mec qui gérait ça était fou. Finalement il a réussi à monter ce lieu, et il est aujourd’hui une référence dans le milieu des squats à Paris.

En général, il y a beaucoup de précarité dans les lieux qu’occupent les artistes. J’ai travaillé 3 ans au Wonder, mais sans jamais savoir que j’allais y rester si longtemps. En arrivant, on nous a dit qu’on avait le lieu jusqu’à l’été. Et puis lorsque l’été est arrivé, on nous a dit qu’on pouvait finalement rester jusqu’en décembre… Et ainsi de suite. Comme on pense constamment “dans 3 mois c’est vraiment la fin“, on a du mal à se projeter, donc on ne s’installe que sommairement.
Mais au bout d’un énième report d’expulsion, j’ai fini par faire des travaux. Un atelier c’est un outil, et j’avais besoin de le rendre efficient et plus confortable. D’autant qu’un atelier révèle aussi la façon dont on travaille. Et puis c’est un endroit où je reçois du monde.
Les squats : mythes et réalités, et comment ils aident de jeunes artistes à se lancer.

Je n’ai pas grandi à Paris mais à Nancy. J’avais donc une image du squat qui était plutôt celle d’un lieu plein de toxicomanes… Ce qui est évidemment faux !
Chaque squat a un caractère très différent. Au Wonder par exemple, tout le monde était dans une optique de travail, même s’il y avait aussi des gens qui habitaient sur place. Personne ne se permettait de râler à 9h du matin parce que quelqu’un qui bossait faisait du bruit. Ceux qui travaillaient avaient la priorité. C’était un lieu où se rencontraient plein de gens différents : des artistes bien sûr, mais aussi d’autres professions de la création. La réalité c’est aussi que sans les squats, on ferme des portes à beaucoup de gens qui n’ont pas les moyens de louer des ateliers, surtout à Paris.
La routine de travail d’un artiste
Je suis désormais installé dans un atelier partagé que je loue à L’Orfèvrerie, les anciennes usines Christofle, à Saint-Denis. Et j’y viens tous les jours, même si le weekend je réduis un peu la voilure. En général, j’essaye d’être rigoureux et de venir tous les matins avant une certaine heure, et la longueur de mes journées varie… Il m’arrive de bien travailler et de ne pas m’arrêter jusqu’au soir, et puis parfois je n’y arrive vraiment pas et je pars en fin d’après-midi.
L’avantage de partager cet atelier avec des amis, c’est que l’ennui ne s’installe pas, et il ne m’arrive pas souvent de partir tôt parce que j’en ai marre. Quand je n’en peux plus, je peux toujours compter sur le pote Kraken (mon voisin d’atelier) pour faire une vanne ou passer un bon morceau d’Eddy Mitchell qui met la pêche ! Il me suffit d’aller discuter un peu, de m’aérer l’esprit… et je peux repartir ensuite.
Autrement, le travail de la peinture est très solitaire. On est face à soi-même, et puis il y a une rigueur nécessaire qui peut parfois rendre l’ensemble difficile. Je peux passer dix heures devant une toile à peindre. C’est super, mais c’est monastique. Il faut savoir tenir l’effort, y revenir…
Transformer l’intuition en un projet

Dans mon travail, la création n’est pas de l’ordre de la magie et de l’inspiration divine. Il ne faut pas espérer arriver le matin et claquer des doigts pour avoir une idée. En fait, je suis toujours en réflexion sur mes projets, mais c’est plutôt quelque chose de sourd, de latent. Les idées me travaillent autant à l’atelier que quand je m’endors le soir, ou lorsque je discute avec des amis. Quelque chose d’intéressant peut émerger n’importe quand, c’est souvent imprévisible.
Et puis un projet en appelle un autre, je travaille par phases. Par exemple, après avoir travaillé sur des grands formats, j’ai généralement envie de passer à du petit, et si j’ai travaillé des scènes dures et violentes, j’ai envie de faire ensuite quelque chose de plus doux. Notamment parce que j’ai assez peur d’une définition arrêtée de mon travail. J’aime y revenir sans cesse pour nuancer, contraster et ne pas figer les choses.
Je commence par faire un croquis d’intention, et pour tout ce que je ne peux imaginer je fais une documentation photos. Je fais poser mes proches à l’atelier souvent, et ensuite je fais un montage de la scène imaginée. Et puis je passe à la toile. Après avoir posé le dessin, je passe une première couche. Fortement diluée, elle me permet de poser les lumières, de donner plus de profondeur et évite de peindre directement sur le blanc de la toile. Puis vient la peinture à proprement parler. Je reviens très peu sur mon travail donc en général une couche suffit. Mais un grand format peut représenter un à deux mois de travail par exemple.
François Malingrëy fait du figuratif pour raconter des histoires

Le geste dans la peinture n’est pas ce que je revendique, bien qu’il compte énormément. Par geste, j’entends le travail plastique et la sensualité du matériau. Ce qui m’intéresse c’est plutôt l’idée de mise en scène et de narration.
D’ailleurs je fais du figuratif pour ça : j’ai toujours eu envie de raconter des histoires. Quitte à considérer que la peinture était un moyen et non pas une fin en soi. Un moyen qui, évidemment, me semble le plus sensible et le plus juste par rapport à ce que j’ai envie de dire.
Une neutralité ambigue
Ça, c’est une série qui s’appelle Les Moqueurs. J’utilise beaucoup d’expressions neutres qui tirent vers un visage fermé, mais qui sont en fait les expressions du “rien”. Alors pour cette série j’ai essayé quelque chose d’un peu ambigu. On ne sait pas si l’expression est positive ou négative. Et j’ai trouvé dans la moquerie cette ambivalence, entre le rire et la méchanceté. On ne sait pas trop ce que les personnages pensent vraiment. Je travaille assez souvent avec cette idée de neutralité ambiguë, et avec l’idée de rendre crédibles deux lectures opposées d’une même scène.

C’est d’ailleurs spécifiquement ce que je cherche à faire. Je crée des scènes qui sont suffisamment complexes pour qu’on puisse y projeter des choses différentes. Je veux conserver une part de doute dans laquelle tout le monde peut s’insérer et y voir ce qu’il veut.
Il m’arrive souvent d’avoir, non pas des lubies, mais des choses qui me viennent et que j’ai envie de faire exister. Ma pratique est assez jeune, donc à mesure que j’explore, j’étoffe. Au début par exemple, je m’intéressais aux drapés que je trouvais fascinants. J’en ai donc fait une série. Cela m’intéresse toujours et je continue de les utiliser, mais ils ne sont plus le sujet du tableau.
Montrer son travail

Les expositions sont importantes pour prendre du recul : montrer son travail permet de poser les choses et de les laisser vivre. Quand je peins par exemple, je ne vais pas conscientiser mon travail : je suis un chemin qui me semble être le bon, et j’avance. Et puis au moment de l’exposition, on me demande tout à coup d’expliquer ce chemin! Et alors que j’ai été certain de ces choses pendant plusieurs mois sans savoir pourquoi, il faut désormais que je puisse mettre des mots dessus…
Les retours sur mon travail comptent beaucoup évidemment, parce qu’ils me font réfléchir. Je ne vais pas forcément prendre l’avis tel quel, mais je ne vais pas faire comme si ça m’était égal. Quand un tableau plaît, que les gens s’y intéressent et posent des questions, c’est gratifiant. Cela permet d’aller explorer cette direction encore davantage, ou de faire le bilan et de passer à autre chose. Mais lorsque je finis un tableau, j’ai hâte de passer à la suite. C’est cette hâte de l’après qui fait qu’on y retourne sans cesse.
Ce qui m’amuse aussi lorsque je montre mes tableaux, c’est de percevoir des divergences entre ce qui m’a mené à créer l’œuvre, et la façon dont les gens peuvent parfois la comprendre. Il m’arrive de ne pas être d’accord avec quelqu’un qui parle de mes tableaux, et pour autant je n’aurais pas plus raison que lui ! Et en peinture, on nous prête parfois des intentions qui ne sont pas les nôtres. En fait, c’est ce qui est intéressant. Au final, cela prouve que l’œuvre fait exister quelque chose chez les gens, et c’est génial.
L’universalité des modèles
Dans mes nouveaux tableaux on voit ma copine, des amis, ma sœur, mon frère, mon neveu… Et je vais aussi apparaître dans la prochaine toile. Je me pose beaucoup la question des modèles en ce moment : qui dois-je faire poser ? Pourquoi ? Comment ? Je me rends compte qu’assez naturellement je ressers principalement sur ma famille ou des amis très proches que je connais depuis l’enfance.
Ça me facilite extrêmement la tâche de demander à un proche de poser pour moi. Ils me connaissent, ils savent ce que je fais et je n’ai pas besoin de leur expliquer pourquoi ni comment, ou de prendre un “statut” de peintre. Bizarrement, je prends comme modèle des gens proches par ce que je n’attache pas particulièrement d’importance à qui ils sont. Je les prends parce que je les ai sous la main. Ils me servent à créer des personnages, en aucun cas a dépeindre un portrait psychologique. Finalement le critère dans mes choix c’est la proximité avec mes modèles. La blondeur de mon frère ou le fait qu’il soit grand ça ne m’intéresse pas, il me faut juste un modèle.
C’est aussi pour ça que je multiplie souvent une même personne au sein d’une scène. Chaque copie du personnage dilue un peu plus l’idée de singularité du modèle. Je veux en faire une coquille dans laquelle le spectateur pourra se projeter. Tout cela au service d’une certaine universalité. Mais aujourd’hui, je m’aperçois que cela a ses limites. Parce que je peins essentiellement des gens blancs, je m’éloigne de la portée universelle désirée, et ça me semble devenir problématique. Je ne peux pas prétendre à ce que tout le monde puisse se reconnaître dans mes personnages.
Rapport à l’odeur
Je n’ai jamais compris pourquoi mon atelier ne sentait rien : il y a des ateliers de peintres où l’on sent vraiment la peinture à l’huile. C’est une odeur incroyable, et très étrange, qui pour moi sent le travail. J’aurais adoré que mon atelier sente cela, mais non, jamais. Il ne sent que la cigarette si mes amis y sont passés !
Pour moi, une odeur liée à un lieu, c’est très fort. Il y a une grande maison d’ami dans le Sud où l’on passait toutes nos vacances quand nous étions enfants, et son odeur m’a beaucoup marquée. Elle était très particulière. Je ne se sais pas à quoi c’est dû, peut-être à une plante devant la maison… Cette odeur est en plus liée à un combo parfait de souvenirs enfance-soleil-vacances qui fait qu’elle évoque immédiatement un retour au paradis.
Se parfumer

Se parfumer reste pour moi le comble de l’élégance. On peut avoir fait le maximum, même en costard trois pièces, si on pue ça craint… la valeur ajoutée réside dans le fait d’être parfumé. L’idée d’avoir une odeur qui est la sienne, de sentir bon, est quelque chose que je trouve super chic.
Le parfum signale qu’on s’est fait bien propre pour tout le monde, mais aussi pour soi-même ! Au quotidien, il m’arrive de me parfumer pour aller travailler à l’atelier. Mais ça dépend de l’humeur, il y a des jours où l’on s’en fout, et des jours où l’on se sent d’humeur élégante, où l’on choisit tout…
Le Sillage de François Malingrëy : une fraîcheur marine pour mettre dans l’ambiance. Ensuite, place à un accord pâte à modeler, qui se fond doucement dans des notes minérales, animales et sensuelles.
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